Après l’abominable meurtre, le vendredi 16 octobre 2020, d’un professeur d’histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine, Manuel Valls, ex-premier ministre, a pointé ce qu’il appelle la « responsabilité » du journaliste Edwy Plenel - qu’il tient pour un « complice », parmi beaucoup d’autres, de « l’islamisme radical ».
Ce n’est pas exactement nouveau : en 2017, déjà, il avait, de la même façon, accusé le fondateur de Mediapart de « complaisance » et de « complicité intellectuelle » avec le terrorisme.
Ces gravissimes insinuations, d’autant plus infamantes qu’elles sont aujourd’hui réitérées dans un moment de profond bouleversement collectif, ne reposent évidemment sur aucun élément précis - pour la simple et bonne raison qu’Edwy Plenel, s’il s’est maintes et maintes fois élevé contre l’islamophobie de l’époque, n’a bien sûr jamais apporté le moindre soutien à des assassins, quels qu’ils soient.
Une autre évidence, dont les journalistes qui se plaisent à recueillir les imprécations de l’ancien adjoint de François Hollande semblent s’arranger parfaitement (puisque jamais il n’est prié de s’en expliquer), est qu’il est arrivé que lui-même, par contre, et entre deux fustigations de « l’islamisme radical », se montre assez accommodant avec des islamistes qui n’étaient certes pas parmi les moins radicaux de la planète - pour leur vendre, notamment, des armes.
Et qu’il entretienne donc avec eux ce que nous pourrions appeler, en lui empruntant un mot dont lui-même fait donc un usage immodéré, une complicité commerciale.
Complicité commerciale
Lorsqu’il était premier ministre, Manuel Valls s’est ainsi rendu, au mois d’octobre 2015, à Riyad, capitale de l’Arabie saoudite – où il a notamment « ouvert », comme l’a ensuite rapporté le journal Le Monde, « le dîner de gala du Forum franco-saoudien qui réunit les plus grands groupes hexagonaux ainsi que plusieurs PME, venus faire des affaires avec le très riche régime wahhabite ».
Dans ce discours d’ouverture, le premier ministre socialiste a, toujours selon Le Monde, « vanté le “partenariat exceptionnel et privilégié“ » entre la France et l’Arabie saoudite, et souhaité qu’il soit « encore amplifié ».
Au passage : il est « revenu » sur les images, largement diffusées par les télévisions du monde entier, de l’exaspération des salariés d’Air France « révoltés par un plan de restructuration » de cette entreprise qui avaient, la semaine précédente, énergiquement pris à partie des dirigeants de la compagnie aérienne.
Manuel Valls, craignant peut-être que le spectacle de cet exercice un peu vif de la démocratie salariale ne tempère leur envie d’acheter, a alors tenu à rassurer ses hôtes : « ces événements n’ont rien à voir avec la France qui se réforme », a-t-il assuré « aux investisseurs saoudiens ».
« Pas un mot concernant les droits humains »
Mais « en revanche », et comme l’a également rapporté Le Monde au lendemain de ces agapes : « À la tribune du forum, coorganisé par Business France et la branche internationale du Medef, le chef du gouvernement n’a pas eu un mot concernant les droits de l’homme dans le “nouveau monde“ saoudien. »
Il y avait pourtant là une occasion presque parfaite, pour ce personnage qui s’érige si volontiers en sauveur de la démocratie, de donner la pleine mesure de ses engagements.
Car l’Arabie saoudite, où le wahhabisme est religion d’État (et où plus de cent personnes avaient déjà été mises à mort depuis le début de l’année lorsque Manuel Valls est allé vendre à Riyad, en octobre 2015, l’excellence du patronat français) est très précisément l’un des endroits du monde où l’islamisme est le plus radical.
Amnesty international constatait ainsi, quand l’envoyé de François Hollande se montrait, d’après Le Monde, si « impressionné » par ce pays : « La liberté d’expression, d’association et de réunion était soumise à d’importantes restrictions. Des détracteurs du gouvernement et des défenseurs des droits humains et des droits des minorités ont été arrêtés et emprisonnés pour des chefs d’inculpation à la formulation vague. Le recours à la torture et à d’autres mauvais traitements contre les détenus, particulièrement pendant les interrogatoires, restait très répandu. Des tribunaux ont retenu à titre de preuve des “ aveux “ obtenus sous la torture et ont déclaré des accusés coupables à l’issue de procès inéquitables. Les femmes faisaient l’objet de discrimination dans la législation et dans la pratique et elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences sexuelles et autres. Les autorités ont continué d’arrêter, de placer en détention et d’expulser des migrants en situation irrégulière. Les tribunaux ont prononcé de nombreuses condamnations à mort, y compris pour des crimes qui n’étaient accompagnés d’aucune violence et contre des mineurs délinquants. Les forces de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ont commis au Yémen des violations graves du droit international, dont certaines étaient des crimes de guerre. »
« Ne pas froisser le régime »
Mais plutôt que d’importuner ses hôtes avec de telles vétilles : Manuel Valls, en 2015, a préféré « ne pas froisser le régime » saoudien.
Et cette complaisance s’est révélée payante, puisqu’il s’est ensuite fait une gloire, à son retour de Riyad, d’annoncer la signature de contrats pour un montant total de 10 milliards d’euros avec l’Arabie saoudite – portant notamment, et au grand dam des observateurs des horreurs de la guerre du Yémen, sur la livraison d’armes.
Puis quand, l’année d’après, au mois de mars 2016, François Hollande, président de la République, a très discrètement décoré de la légion d’honneur le ministre saoudien de l’Intérieur – ordonnateur des répressions dénoncées par Amnesty international -, Manuel Valls de nouveau, a fait un choix très atypique : il a déclamé qu’il convenait d’ « assumer » cet hommage, et cette si bienséante « tradition d’honorer des dirigeants » étrangers.
Il faut y insister : dans le court moment où il a dirigé un gouvernement, Manuel Valls, entre deux méchancetés sur ce qu’il appelait (dans un entretien accordé en 2017 à un quotidien espagnol) « le problème des musulmans » ou sur les Roms, s’est employé, lesté du poids que lui conférait sa fonction, à courtiser, en VRP, une clientèle assurément très radicale.
Après quoi il s’en est retourné à l’atelier où il façonne ses anathèmes calomnieux contre les « complices de l’islamisme ».