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10 décembre 2020

Qui ne peut plus rien dire ?

Pendant des années, l’éditocratie réactionnaire a usé, pour étendre son emprise, de procédés un peu sommaires - évidemment -, mais redoutablement efficaces.

Elle s’est posée en victime d’une « dictature » de la « bien-pensance ».

Elle braillait, inconsciente de son ridicule, qu’elle ne pouvait « plus rien dire ».

Elle se drapait dans de magnifiques principes : contre la censure, pour la liberté d’expression.

C’est-à-dire : pour la liberté d’exprimer publiquement des obscénités altérophobes.

Elle a bénéficié, tout au long de ces années, de complicités multiples, et plus ou moins directes.

Celle, par exemple, des politicien·nes qui, même lorsqu’il·les se prétendaient de gauche, ont banalisé (et continuent de normaliser) tant de ses obsessions : on pense, bien sûr, et par exemple, à M. Valls et à ses propos sur les migrant·es ou sur les Roms (liste non exhaustive) - mais tout aussi bien, et plus récemment, à M. Blanquer et à ses misérables anathèmes contre les « islamo-gauchistes ».

Celle, aussi, de la presse dite de référence, qui a continué, en dépit de l’évidence qu’ils empoisonnaient le débat public, à offrir des tribunes à des parleurs enfiellés.

Puis celle, bien sûr, des margoulins de l’information, marchands d’armes ou de sectarisme, qui ont massivement investi dans la provocation à la haine.

« Effrayante intolérance progressiste »

Dans les premiers mois de l’année 2020, cette éditocratie a enrichi son lexique d’un nouvel épouvantail : la « cancel culture », présentée par elle comme une « effrayante intolérance progressiste » - une de plus.

De nouveau : il s’agissait d’installer l’idée que la gauche portait la censure comme la nuée l’orage.

Et de nouveau : il s’est trouvé des journalistes et des politicien·nes pour cautionner cette baliverne.

Dans ce matraquage : on aurait presque - presque - pu oublier que dans la réalité, cette droite n’est pas l’ennemie des bâillons, mais qu’elle en met partout, sitôt qu’elle en a les moyens.

On aurait presque - presque - pu perdre de vue que, loin d’être attachée à la liberté d’expression, elle réprime la dissidence dès qu’elle en a le pouvoir.

Et nous y sommes.

Au fil des ans, grâce aux complicités dont elle a constamment bénéficié, cette clique est devenue extraordinairement puissante : c’est autour de ses phobies que s’organise aujourd’hui un débat public où la provocation à la discrimination, loin d’être disqualifiante, est plutôt regardée comme une compétence.

Le masque tombe

Cette faction ne se plaint d’ailleurs plus guère d’être muselée, car dans ses bastions médiatiques elle peut, tout au contraire, tout dire, désormais - sans être jamais contrariée.

Et elle ne s’en prive certes pas : quiconque souhaiterait le (re)vérifier pourrait passer, n’importe quel soir, de la chaîne dite d’information où un délinquant vocifère contre la « préférence étrangère » à celle où un académicien vitupère contre « le problème que posent aujourd’hui les flux migratoires ».

Forte - et imbue - de cet ascendant : cette droite tombe le masque.

Elle ne se contente plus des entre-soi méchants où elle débat avec elle-même : désormais, elle réclame des têtes.

À la toute fin du mois dernier : un humoriste a été licencié de Canal + - la chaîne qui emploie Éric Zemmour, plusieurs fois condamné pour provocation à la haine raciale ou religieuse - après un sketch parodiant une émission de Pascal Praud [1].

Après quoi, enhardi peut-être par le constat que ce renvoi n’avait pas soulevé la moindre protestation : le même Pascal Praud a, dans un accès de rage, réclamé hier le départ d’un autre humoriste - officiant, lui, sur France inter.

Car en somme, et bien plus encore que par son extrême férocité, cette éditocratie se distingue encore et toujours par l’épaisse grossièreté qui lui fait anéantir en quelques jours les vingt années qu’elle vient de passer à essayer de nous faire oublier que la censure, c’est la droite.


[1Un autre collaborateur de la chaîne a ensuite été mis à pied, selon le journal L’Équipe, pour avoir apporté son soutien à Sébastien Thoen.