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17 décembre 2020

L214, “Le Point“ et les « financements troubles »

L’hebdomadaire Le Point appartient, via la holding Artémis, à la famille Pinault, qui dirige également le groupe Kering, « géant du luxe », propriétaire, notamment, de Gucci et d’Yves Saint-Laurent.

L’hebdomadaire Le Point a publié, la semaine dernière, une « enquête » sur « l’association antispéciste » L214, coupable selon lui de vouloir « abolir la viande ».

D’après Le Point, qui l’affirme dans la présentation qu’il fait de cette investigation : les « financements » de cette association sont « troubles ».

Problème : Le Point ne démontre nullement cette embarrassante assertion.

Son enquête mentionne, certes, et comme si cela était en soi suspect, qu’« en à peine trois ans, les financements de L214 ont littéralement explosé ».

Ainsi, soutient l’hebdomadaire : « En 2019, l’organisation a récolté 4 812 982 euros de dons, provenant à 89 % de particuliers ».

De plus, L214 « dispose par ailleurs toujours des fonds (1,14 million d’euros) versés en 2017 par l’Open Philantrophy Project ».

Puis « enfin, afin de pouvoir recueillir des héritages, l’organisation a créé un “fonds de dotation“ qui a déjà amassé un pactole : 2,7 millions d’euros pour la seule année 2019, année durant laquelle il a aussi encaissé 1,05 million de la vente d’un bien immobiliser précédemment légué ».

Consternation

Or, se désole Le Point, qui use de points de suspension pour mieux marquer sa consternation : ce fonds, reconnu d’« utilité publique », est « exonéré de droits de mutation, qui se montent d’ordinaire à 60 % de la valeur du bien... En contrepartie, il doit justifier l’emploi de cet argent dans un rapport dédié, qui n’a jamais été publié ».

Par conséquent, calcule l’hebdomadaire de la famille Pinault : « Au total, L214 a donc engrangé pour la seule année 2019 la coquette somme de 8 560 802 euros, tous défiscalisés. »

Puis de déplorer, pour conclure - et avec de nouveaux points de suspension : « Le manque à gagner fiscal pour l’État s’élève à... 4,3 millions d’euros. »

En résumé : l’association L214 vit principalement de dons, profite comme le font la plupart des organisations non gouvernementales de ce que la loi lui permet de défiscaliser le plus légalement du monde une partie de ses bénéfices - et n’a pas encore publié à l’automne 2020 le rapport dédié à l’emploi qu’elle a fait en 2019 des sommes recueillies par son fonds de dotation.

Et tout cela n’est pas forcément inintéressant, mais en quoi ces « financements », qui n’ont donc rien d’illégal, seraient-ils « troubles », comme le soutient Le Point ?

Et en quoi seraient-ils plus « troubles », par exemple, que ceux de cet hebdomadaire - qui, lorsqu’il n’est pas occupé à déplorer qu’une association antispéciste bénéficie de facilités fiscales, publie des articles encourageant son lectorat à « ne pas payer trop d’impôts », et l’aide même très gentiment à « optimiser sa déclaration » ?

La question mérite d’être posée, car cette publication, comme beaucoup d’autres, bénéficie depuis de longues décennies d’aides publiques à la presse (sous la forme, notamment, d’avantages fiscaux) qui constituent, comme l’a constaté la Cour des comptes dans un rapport extraordinairement sévère, « une charge croissante pour les finances publiques » - mais dont l’efficacité n’a jamais été précisément mesurée.

Perfusion

Pour la seule année 2016, par exemple, « Le Point et son site internet ont touché » comme l’a relevé Acrimed, « 855 302 euros d’aides publiques », puis « 292 951 euros en 2017, soit plus d’un million en deux ans, alors que ce journal est sous perfusion publicitaire ».

Mais Le Point, qui se montre si prompt à regretter que L214 n’ait pas encore produit en décembre 2020 l’intégralité de ses comptes de 2019, n’a jamais publié, que l’on sache, aucun rapport sur l’emploi qu’il a fait des millions de francs, puis d’euros, qui lui ont ainsi été distribués au fil des ans.

Surtout : cet hebdomadaire, on l’a dit, appartient, via la holding Artémis, à la famille Pinault, qui dirige également le groupe Kering, détenu à 40,9 % par la même holding.

Or, ce groupe, qui a écopé l’an dernier en Italie d’un « redressement fiscal record » d’1,2 milliard d’euros, fait aussi l’objet en France, depuis 2019, comme vient de le révéler Mediapart, d’une enquête pour « blanchiment de fraude fiscale aggravée ».

Cependant, selon Le Monde : « Kering conteste avec la plus grande fermeté les allégations de blanchiment de fraude fiscale totalement infondées dont fait état l’article de Mediapart », et promet « le cas échéant », d’« apporter sa pleine coopération aux autorités concernées dans le cadre de l’enquête éventuelle, en toute transparence et avec sérénité ».

Et c’est prudent - car il ne fait guère de doute que Le Point enquêtera sur d’éventuels « troubles ».