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8 juillet 2020

Emmanuel Macron (tout) contre le racisme

Dans son adresse aux Français·es du 14 juin 2020, Emmanuel Macron a fait cette promesse, tout à fait admirable : « Nous serons intraitables face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations. »
Au même moment, par coïncidence : la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), autorité administrative qui depuis des années produit sur ces sujets une abondante et passionnante documentation, publiait justement son traditionnel rapport annuel sur « la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ».
Cette année, cette commission s’alarme notamment [1] de « la propagation de discours de haine dans les grands médias » - qui banalise ces mauvaisetés -, puis prodigue quelques conseils pour en finir avec ce fléau contre lequel le chef de l’État assure donc vouloir se montrer intraitable.
Selon les auteur·es du rapport, « l’année 2019 n’a » en effet « pas été épargnée par les polémiques et les “dérapages“ racistes qui ont occupé l’espace médiatique, dans le cadre d’un contexte propice aux relents de discours stigmatisants et xénophobes (durcissement des politiques sécuritaires, débats récurrents sur l’islam ou encore sur la laïcité, “crise migratoire“, etc.) ». Plus précisément, « la question du racisme et des discriminations dans les médias français a émaillé l’actualité tout au long de l’année, et les polémiques de la fin de l’année sur les “affaires Zemmour“ » - du nom d’Éric Zemmour, collaborateur du Figaro et de CNews plusieurs fois condamné pour provocation à la haine raciale ou religieuse – « ont contribué à raviver les débats autour d’un racisme des médias ou du racisme dans les médias ».

Le discours raciste s’est libéré et décomplexé

Cette réalité inquiétante n’est certes pas nouvelle : cela fait déjà plusieurs années que « de nombreux observateurs, parmi lesquels la CNCDH, constatent que le discours raciste s’est libéré et décomplexé dans les médias », rappelle le rapport - qui pointe, dans la presse écrite, les « unes » douteuses de « certains hebdomadaires », comme Valeurs actuelles ou Le Point. Mais ce « mouvement qui, au prétexte de la dénonciation des abus du politiquement correct, autorise une parole raciste, xénophobe, misogyne ou homophobe » touche aussi la télévision, où, « au nom d’un droit au “politiquement incorrect“, des propos discriminants, stigmatisants, voire racistes, sont régulièrement tenus par certains éditorialistes ou chroniqueurs, sans que la contradiction leur soit toujours portée ».
La CNCDH détaille : « On a ainsi vu se multiplier les talk-shows (...) présents sur toutes les chaînes », qui, « présentés comme des émissions de “décryptage de l’actualité“ ou de “débat“, (...) se veulent des espaces de liberté d’expression qui permettraient la médiatisation d’opinions diverses » - mais qui, en réalité, « dissolvent la confrontation d’idées et la bataille d’arguments au profit de la construction de (...) “clashs“ » et de « “buzz“, (...) dans l’espoir de gagner quelques points d’audience ».
Car en effet, poursuivent les auteur·es du rapport : « Confrontées à la concurrence des réseaux sociaux et des plates-formes numériques, les chaînes de télévision cherchent les coups d’éclat », et abusent, par conséquent, d’un « recours constant à des chroniqueurs aux propos toujours plus extrêmes » - le cas le plus flagrant étant sans doute celui d’Éric Zemmour, champion de la « haine télévisée » selon le journal Le Monde, à qui CNews a offert une émission après qu’il avait prononcé devant une convention de la droite identitaire un discours spécialement infâme, et qui lui a d’ailleurs valu d’être, nous y reviendrons, de nouveau poursuivi pour incitation à la haine.
De sorte que « ces émissions, loin d’être », comme le prétendent mensongèrement les chaînes qui les diffusent, « des espaces de débats et de confrontation d’idées, deviennent de plus en plus souvent un spectacle » durant lequel « sont (...) proférés sur les plateaux des contre-vérités, faux chiffres à l’appui, sans qu’aucune contradiction ne soit apportée, le plus souvent sur des sujets liés à l’immigration ou à l’islam, présentés comme des problèmes, ou lorsqu’il s’agit des droits et revendications des femmes, des personnes LGBTI+ ou des personnes d’origine étrangère ».
Pour la CNCDH, les chaînes qui programment ces faux débats portent une lourde responsabilité. Car en « invitant régulièrement » des « polémistes » haineux, elles « contribuent » activement « à légitimer et à banaliser leur parole, et donc à normaliser les propos racistes » - de sorte que ces « médias jouent en fait le jeu d’une stratégie politique d’extrême droite qui aboutit à la légitimation des idées qu’elle porte ».

L’incitation à la haine raciale ne doit pas être débattue

Or, rappelle utilement la commission : « Si la liberté d’expression doit admettre toutes les opinions, elle trouve sa limite, selon la Cour européenne des droits de l’homme, “dans toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance“. » Les auteur·es du rapport y insistent : « L’incitation à la haine raciale doit être combattue, mais sûrement pas débattue. »
Puis de conclure : « Lorsque l’espace médiatique est occupé par des discours qui avilissent ou déshumanisent de façon systématique les individus socialement identifiés à certains groupes minoritaires, leur statut de citoyens égaux aux autres est remis en cause. Lorsque ces représentations contribuent systématiquement à diviser la société en camps opposés selon des lignes de fracture stables, elles sapent en outre les conditions de la solidarité sociale et d’une coexistence pacifiée. La différence établie entre la protection des discours choquants, offensants ou blasphématoires et la répression des discours incitant à la haine n’est alors nullement arbitraire ou contraire à la liberté d’expression. »
Et tout cela est bien sûr très préoccupant, mais la CNCDH, qui assure au sein de la République française « un rôle de conseil et de proposition », formule, pour « combattre le racisme dans les médias », quelques recommandations très faciles à suivre.
Pour mener à bien ce combat, il convient, explique ainsi la commission, « de dénoncer les propos racistes et l’absence de réaction de certains journalistes, ainsi que la présence médiatique de certains éditorialistes et chroniqueurs dont les préjugés et les propos stigmatisent certaines catégories de population et nuisent à la cohésion nationale ».
Mais le chef de l’État français a plutôt fait le choix, au mois de mai dernier, en plein confinement, de téléphoner (très) longuement, pour l’assurer de son plein soutien, au plus virulent de ces marchands de haine : Éric Zemmour - qui venait d’être pris à partie par un passant dans une rue de Paris.
Deux mois plus tard, le 1er juillet, le parquet de Paris, insensible semble-t-il à cet élan présidentiel, requérait contre le même Zemmour, qui avait tenu en septembre 2019 des propos exhortant selon le tribunal « au rejet » et « à la discrimination des musulmans dans leur ensemble » lors d’une convention de la droite identitaire, une nouvelle condamnation – encore une - pour provocation à la haine raciale...


[1Comme beaucoup d’autres avant elle, qui ont tôt mis en garde contre cette lèpre mais dont le moins qui se puisse dire est qu’au fil des années leurs alertes répétées ont rencontré peu d’écho...