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17 juillet 2020

Verts de rage. Sur l’« écologie punitive » et quelques autres prétendus périls verts.

« Je crois à cette écologie du mieux, pas à cette écologie du moins », a décrété Emmanuel Macron dimanche 14 juillet. Ce qui est intéressant ici n’est pas l’adhésion de pure forme et totalement opportuniste à l’écologie, fût-elle « mieux ». C’est l’opposition que le chef de l’État met en scène entre une « bonne » écologie et la « mauvaise », qu’incarneraient celles et ceux qui sont devenu·es, à gauche, depuis les dernières élections municipales, ses principales et principaux ennemi·es : les représentant·es de l’écologie politique.

Repris sous une autre forme le 15 juillet par Jean Castex dans son discours de politique générale (« croissance écologique » contre « décroissance verte »), cette rhétorique, qui est donc désormais celle, officielle, de l’exécutif, n’est pas nouvelle : il y a fort longtemps que la droite brandit pour disqualifier le combat environnementaliste le spectre de l’« écologie punitive ». Mais elle n’en finit jamais de recuire cette même vieille soupe dans le même vieux pot.

La même vieille soupe dans le même vieux pot

Dès la publication des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, le très réactionnaire directeur de la rédaction du Figaro magazine, Guillaume Roquette, s’est donc fendu, le 26 juin, d’un éditorial furibond dont c’était précisément le – très sobre – titre, et dans lequel il résumait ainsi lesdites propositions : « Un interminable catalogue de contraintes, d’obligations, d’interdictions, de sanctions et des taxes en tout genre. L’écologie punitive dans toute sa splendeur. »

Cette expression laisse songeur-se : en réalité, qui punit qui ? Ou plutôt : qu’est-ce qui, soudainement, se voit ainsi qualifier de « punitions », imposées par la force et rognant les libertés ? Des mesures qui, certes, peuvent éventuellement être parfois un peu contraignantes – et encore tout relativement – mais pour l’intérêt général, et avec l’espoir qu’on peut encore sauver la planète des désastres du réchauffement climatique.

L’introduction de deux repas végétariens à la cantine serait ainsi punitive. Et le poulet aux hormones, et le poisson le vendredi : un simple respect de la tradition et un hommage rendu à la gastronomie française ?

La limitation de la vitesse sur l’autoroute à 110 kilomètres heure, dont il est établi qu’elle sauve de nombreuses vies, relèverait, elle aussi, du châtiment. Tandis qu’il n’y aurait rien à redire, par exemple, à la cession à Vinci de la lucrative exploitation des autoroutes financées avec les deniers publics ?

D’innombrables décisions et autres « réformes » réellement punitives, elles, pour des populations déjà fragilisées nous sont imposées, sans que leur effet coercitif (même lorsqu’elles sont massivement contestées dans la rue comme la réforme des retraites) ne soit dénoncé. Il ne l’est jamais, en tous cas, par les éditorialistes du Figaro, qui auraient plutôt tendance à les acclamer et à exiger du gouvernement plus de sévérités encore, et n’invoquent « nos libertés » que pour défendre celles des entreprises et des automobilistes, honteusement stigmatisés selon eux.

Chroniqueur dans le même journal, le très droitier économiste Philippe Simonnot avouait plus franchement encore sa conception de l’écologie. Participant à un débat sur la décroissance en 2006, il proclamait fièrement : « Moi, ce qui compte pour moi, c’est la liberté. […] Je veux pouvoir acheter mes chemises à Hong-Kong, mes chaussures en Inde. C’est ça qui compte pour moi ! » [1].

On notera la réduction toute néolibérale de la liberté à un « moi » ramené aux plaisirs de la consommation de produits confectionnés dans des conditions atroces par des salarié·es surexploité·es – et au droit de ne surtout pas penser au-delà de sa petite personne.

L’interview récente donnée aux Échos le 3 juillet par le PDG de Saint Gobain illustre à sa manière ces singulières représentations de la liberté : « je ne crois pas à l’écologie punitive », proclame fièrement Pierre-André de Chalendar, qui oppose à cette prétendue logique l’« incitation » ou, mieux encore la « responsabilisation », autant de mots pour lancer un avertissement très clair : pas touche à nos profits.

Pas touche à nos profits !

On le remarquera : rien n’est dit, dans les colonnes des Échos ni dans celles du Figaro, de l’effet punitif, pour tous ceux et celles qui subissent la casse de l’Etat social, des exonérations d’impôts offertes aux grandes entreprises. Pas un mot, pas une réserve ne sont jamais émis non plus contre d’autres punitions, bien réelles, et sans nul doute extrêmement violentes, dont cette presse est au contraire friande : la surveillance et la répression toujours plus autoritaires qui s’abattent sur les bénéficiaires des minimas sociaux, systématiquement présenté·es comme des « assistés », ou les châtiments corporels pour les enfants, dont Le Figaro se demandait tout récemment encore si une éducation trop « bienveillante » ne risque pas de les transformer en « tyrans ».

Finalement, c’est toute une vision du monde que dessinent les adversaires de l’« écologie punitive » – ou plutôt la défense d’un monde fait de privilèges jamais remis en cause, de petits (ou moins petits) plaisirs réservés à quelques happy few mais requalifiés en « libertés » universelles, ou encore d’un « mode de vie » occidental pensé comme forcément enviable et supérieur.

« En matière d’écologie, comme de lutte contre le racisme, l’heure est à la repentance. Il faut mettre un genou à terre pour demander pardon d’exister. Derrière des propositions comme le crime d’écocide (sic) ou la réduction autoritaire de la consommation de viande (deux mesures préconisées par la convention climat) affleure toute la culpabilité liée au mode de vie occidental », écrit encore Guillaume Roquette, avec indignation, dans sa chronique.

Si maintenant les Blancs ne peuvent pas tranquillement faire comme si le passé colonial n’avait jamais existé, si les violences policières doivent être regardées et nommées pour ce qu’elles sont, et s’il faut par-dessus le marché se limiter sur la barbaque, où va-t-on ?

L’éditocrate Luc Ferry, adversaire de longue date de l’écologisme – qu’il reliait tranquillement avec le nazisme dans un livre paru en 1992 – s’est, quant à lui, récemment découvert une appétence inattendue pour l’« écomodernisme » : un « programme (...) ambitieux et (...) réaliste car (...) rentable », et qui présente par surcroît l’admirable avantage de ne vouloir « brimer ni la croissance », ni la « consommation ». Cette conversion tombe à pic : elle permet à Ferry de vitupérer à bon compte contre « la Convention climat, sous perfusion de thèses catastrophistes », et contre la « vague verte » qui a permis à des listes écologistes de remporter plusieurs grandes villes françaises lors des élections municipales du 28 juin dernier. Dans une tribune parue dans le Figaro du 2 juillet, il fustige ainsi, à son tour [2], les « Khmers verts » (sic) du « parti de l’écologie punitive et de la décroissance ».

Qui est en train de tou·tes nous punir ?

Mais quand le président de la République et son nouveau premier ministre continuent comme si de rien n’était à faire si peu en matière d’écologie que même Le Monde est contraint de constater que leur « plan de relance » d’une économie dévastée par l’épidémie de Covid-19 « ne sera pas si “vert“ » qu’annoncé, la question se pose, décidément : qui nous met réellement – et très gravement – en danger ? Qui est, pour de bon, en train de tou·tes nous punir ?

Ce ne sont pas les militants de l’écologie et les scientifiques qui nous alertent sur le réchauffement climatique qui sont « catastrophistes », c’est-à-dire inventent des catastrophes ou les exagèrent : ils et elles se contentent, de façon tout à fait « réaliste », posée et argumentée, de nous aviser des mécanismes qui nous préparent des lendemains calamiteux, et de prévoir leur ampleur.

C’est parce que ces lanceurs d’alertes sont aujourd’hui dénigré.es sur la base d’arguments grotesques que nous sommes en très grand danger, et qu’une véritable punition, bien réelle, elle, et extraordinairement sévère, nous menace : non pas l’impossibilité de s’acheter en toute liberté des sneakers fabriquées en Inde par des enfants – mais l’anéantissement de la planète.


[1Cité dans Le choc de la décroissance de Vincent Cheynet, Seuil, 2008, page 98.

[2Mais sans mentionner bien sûr que ce journal appartient à un marchand d’avions (de combat, notamment) qui a sans doute peu à gagner à l’adoption de comportements plus respectueux de la planète.